9 raisons qui expliquent l’échec des projets de regroupement en sécurité incendie

May 5, 2021 | Urgence

Voilà dorénavant six ans que je travaille d’arrache-pied à non seulement visiter, inspecter, analyser et améliorer les services de sécurité incendie d’un peu partout au Québec et au Nouveau-Brunswick dans leurs processus de réflexion visant à optimiser leurs ressources en sécurité incendie, mais également à les accompagner dans la mise en place de leurs décisions par du coaching, de la formation ou simplement en agissant à titre de chef de projet dans le changement.

Puisque nous ne sommes que quelques joueurs à se partager la majorité des études de regroupement dans la province de Québec, nous devrions tous connaître beaucoup de succès dans la conduite de ce type d’initiative. Or, ce n’est pas le cas. Très peu d’études de regroupement déboucheront réellement sur l’implantation d’une nouvelle structure optimisée. Pourquoi? Je vais utiliser le modèle de Kotter (2012) pour expliquer les neuf raisons qui expliquent la complaisance dans laquelle baignent les acteurs du milieu municipal et qui explique l’échec de la très grande majorité des études menées en sécurité incendie :

  1. L’absence d’une crise majeure visible : Pensez à l’Isle-Verte ou à Lac-Mégantic et vous comprendrez ce que ce genre d’événement veut dire. La crise suscitée par ce type d’événement amène les élus et directions des municipalités à devoir agir en réaction à l’opinion publique et/ou à l’attention portée par les médias sur l’événement. Sans crise… quelle urgence y a-t-il à agir maintenant?

  2. Trop de signes de richesse pour agir : Pourquoi entreprendre un pénible processus de réorganisation des activités et à céder une partie du contrôle de notre service de sécurité incendie quand une municipalité possède déjà une nouvelle caserne de pompiers, des véhicules d’urgence récents et des équipements à profusion?

  3. Des standards de performance ridiculement atteignables : Je pense notamment au nombre de pompiers fantômes sur les listes d’employés, à la force de frappe qui est auto-proclamée par les directions de services et à l’occurrence des visites de prévention qui sont étalées sur une durée qui ne cesse d’être rallongée d’un schéma à l’autre. Il devient facile pour une municipalité de justifier l’excellente performance de leur service de sécurité incendie enlevant toute nécessité à l’action immédiate.

  4. Des structures organisationnelles qui encouragent la gestion par silos : La dualité entre la gestion des compétences relevant des MRC et les services de sécurité incendie et la compétition malsaine entre plusieurs directeurs qui comparent leurs services respectifs amènent les municipalités à la méfiance face aux projets d’actions regroupées… et à poursuivre le travail en silos.

  5. Le choix des mauvais indicateurs de performance : On priorise souvent les indicateurs du ministère de la sécurité publique qui sont le nombre d’incendies, le nombre de décès et les pertes matérielles associées aux incendies qui couvrent environ 5% des opérations d’un service de sécurité incendie et pour lesquels on excelle. L’autre 95% n’est pas mesuré… donc masqué et à l’abri des regards des directions générales et des élus… mais pas nécessairement en bon état. Pourquoi agir maintenant quand tout va bien?

  6. Un manque de rétroaction des citoyens : On entreprend systématiquement la totalité des études de regroupement sans jamais avoir sondé les citoyens sur leur niveau de satisfaction face au niveau de service actuellement offert par les pompiers ou sur les coûts d’opérations directement refilés aux citoyens par le biais des taxes municipales. Que veulent réellement les citoyens? C’est souvent lorsqu’on présente le produit final de l’étude qu’on l’apprend… devant un parterre d’élus municipaux et/ou de citoyens en colère!

  7. Une culture de « tuons-le-porteur-des-mauvaises-nouvelles » : Je suis souvent désigné comme étant le porteur de ces mauvaises nouvelles… soit à titre de formateur en gestion ou à titre de consultant…lorsque je dis tout haut ou que je mets noir sur blanc les dysfonctions au sein des services de sécurité incendie. Alors on m’éloigne à tout prix de la situation… soit en n’assistant plus aux formations afin de ne pas entendre ce qu’on devrait savoir… ou en discréditant les constats notés dans mes rapports devant les directions générales et élus municipaux qui se font ainsi influencer dans leurs processus décisionnels.

  8. La nature humaine d’ignorer tout problème : Surtout lorsqu’on fait affaire avec des petits services de sécurité incendie gérés par des directeurs à temps partiel qui ont déjà une forte charge de travail à leur emploi principal, ou par des directeurs généraux qui doivent jouer le rôle d’homme-orchestre porteur de tous les dossiers de la municipalité. Disons que la sécurité incendie n’est vraiment pas prioritaire à moins d’être acculé au pied du mur par les autorités en la matière (lire ici le Ministère de la sécurité publique ou le MAMOT).

  9. Le faux discours des directions de service : Tout va bien… il n’y en n’a pas de problème… car s’il y a un réellement problème… et il y en a probablement un… c’est possiblement de leur faute… alors il n’y a pas de problème… tout fonctionne à merveille et l’ensemble des pompiers sont heureux… très très heureux! C’est le discours servi à plusieurs directions générales et à plusieurs élus par leurs directions de services de sécurité incendie. Pourquoi réparer ce qui fonctionne bien?

Bref, il existe plusieurs raisons qui expliquent l’échec des projets d’optimisation des ressources en sécurité incendie. Heureusement, il existe également des solutions afin de gérer chacune de ces raisons dans la littérature en gestion du changement.

Seuls ceux qui auront le courage managérial et/ou politique de gérer ces facteurs réussiront à créer l’organisation performante souhaitée, et ce pour le grand bien des citoyens de leurs municipalités.

Patrick Lalonde est président et fondateur d’ICARIUM, la seule firme bilingue spécialisée dans le développement du leadership des officiers & le management efficient des services de sécurité incendie au Canada.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

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Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.