À quand les statistiques avancées en sécurité incendie?

Oct 24, 2016 | Gestion

Le concept fait couler beaucoup d’encre dans le milieu ultra-conservateur du sport professionnel. On n’a qu’à penser à la nomination de Theo Epstein en 2002 à l’âge de 28 ans comme Directeur-gérant des Red Sox de Boston de la ligue américaine de baseball ou plus récemment de John Chayka comme directeur-général des Coyotes de l’Arizona de la ligue nationale des hockey à l’âge de 26 ans. Ces deux nominations mettent en relief de jeunes surdoués qui ont développé des algorithmes avancés afin de maximiser le talent des joueurs sur le terrain et des stratégies visant à optimiser les chances de victoires de leur équipe. Et vous savez quoi? Ça fonctionne. Deux séries mondiales pour M. Epstein avec Boston et voilà que ses Cubs de Chicago sont en séries mondiales cette année.

En fait, l’approche associée aux statistiques avancées est très cartésienne et requiert une analyse fondamentale de l’ensemble des variables reliées à un domaine donné et à la science du comportement. Si on transpose le tout à la sécurité incendie, je fais ici référence à l’analyse des nombreuses données que les officiers doivent compléter à la fin de chaque intervention dans leur logiciel de sécurité incendie, aux données compilées par les inspecteurs après leurs activités de prévention et aux données complétées par les enquêteurs lors d’une recherche sur la cause et les circonstances d’un incendie. Il ne vous est jamais arrivé de vous questionner sur le potentiel stratégique de ces données?

Pourtant, la gestion de la sécurité incendie n’est qu’une évaluation continuelle des probabilités basées sur des données compilées et orientées vers la performance opérationnelle. Elle est la résultante de plusieurs scénarios possibles:

  • La probabilité que rien ne se passe lorsqu’on a pris des mesures préventives ou correctives pour influencer le comportement des citoyens;
  • La probabilité qu’un incident se déroule mais que celui-ci soit mineur;
  • La probabilité qu’un incident se déroule mais que celui-ci soit majeur;
  • La probabilité qu’un incident se déroule et qu’il entraîne de la mortalité.

Le zéro absolu n’existe pas. Ceux qui attribuent un pourcentage de zéro à l’un de ces scénarios font fausse route et vivent à contre-sens des probabilités. En d’autres mots, ils vivent sur leur chance jusqu’au moment où ils gagneront à la loterie de la vie.

Pour chacun des quatre scénarios, chacune des probabilités à attribuer est la résultante de plusieurs variables connues et inconnues.

Par exemple, l’efficacité de la prévention ne se résumera pas seulement au nombre de visites de prévention comme plusieurs seraient portés à le croire. La performance de la prévention se résumera bien davantage par l’amalgame des moyens mis en place afin d’influencer le comportement des citoyens face à leurs pratiques quotidiennes en lien avec les risques de causer un incendie. Ces pratiques seront elles-mêmes dépendantes du taux de rétention des citoyens face à l’information reçue par le biais des différents moyens de communication multiplié par la fréquence à laquelle ces citoyens seront exposés aux différents messages communiqués. Par exemple, les recherches démontrent un taux de rétention de 20% de la matière lorsque le citoyen entend un message de prévention. Ce taux monte à 90% lorsqu’on demande au citoyen d’expliquer et d’expérimenter ledit message de prévention. Pourquoi croyez-vous qu’on favorise la prévention par des moyens comme la grande évacuation ou la grande secousse? Ce sont le résultat de statistiques avancées.

Un autre exemple. Isolons le niveau d’efficacité d’une intervention. Celui-ci sera dépendant de plusieurs variables tels :

  • La probabilité que les intervenants soient avisés suffisamment tôt par les citoyens dans le cycle de développement d’un incendie afin de pouvoir limiter les dégâts;
  • La probabilité que l’intervention survienne à un moment de la journée où les intervenants sont disponibles pour y répondre;
  • La probabilité que les intervenants se mobilisent en nombre suffisant pour intervenir efficacement;
  • La probabilité que les véhicules et équipements soient fonctionnels au moment de l’intervention;
  • La probabilité que les officiers adoptent les stratégies et les tactiques appropriées lors de l’intervention;
  • La probabilité que les intervenants accomplissent efficacement les actions qui leur sont demandées en utilisant les outils et les équipements requis.

De ce fait, la probabilité qu’un intervenant accomplisse efficacement les actions demandées dépendra à son tour :

  • Du niveau de supervision de l’intervenant par un officier;
  • Du niveau de compétence de l’officier de supervision;
  • Du degré d’absorption de la matière par l’intervenant lors de la formation initiale suivie;
  • De son ancienneté dans le poste occupé;
  • De son taux de présence aux formations;
  • De son taux de présence aux appels;
  • De son niveau d’implication lors des appels;
  • Etc.

Vous comprendrez qu’on pourrait creuser ainsi pour chacune des variables énumérées afin de comprendre la cause originelle de chaque comportement désiré. La liste des variables à isoler et à gérer dans le modèle de la gestion de la sécurité incendie serait, par conséquent, infinie. Par contre, une compréhension des variables à l’étude, et surtout une analyse causale entre celles-ci, permettrait de prioriser les variables importantes dans notre modèle de gestion et surtout, de développer des modèles prévisionnels permettant une utilisation optimale des ressources humaines, financières et matérielles disponibles.  

Vous pensez que je vis dans le futur? C’est pourtant cette même stratégie analytique qui fait le succès d’entreprises comme Costco ou Alimentation Couche-Tard au moment même où j’écris ces lignes. Ceux-ci peuvent prévoir, avec précision, le comportement d’achat des consommateurs en fonction de chaque tuile du plancher, et ce dans chacun de leurs établissements.

Pourquoi ne pas utiliser les données que nous compilons depuis plusieurs années en sécurité incendie pour mieux gérer les risques? Pour mieux prévoir le comportement des citoyens? Bref, pour “mieux” sauver des vies?

À l’aube de 2017, la question n’est plus de savoir si mais bien quand en arriverons-nous à ce stade de maturité dans la gestion de nos données d’interventions et d’opérations? Verrons-nous bientôt une nouvelle génération de leaders surdoués de l’urgence émerger?  À suivre…

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.