Ce qui fait que les Y et les Z ne deviennent plus pompiers à temps partiel

Apr 2, 2016 | Gestion

Certains diront que je manque de cohérence alors que j’écrivais dernièrement un article sur la lente disparition des pompiers à temps partiel (https://www.linkedin.com/pulse/la-lente-disparition-des-pompiers-%C3%A0-temps-partiel-patrick-lalonde?trk=pulse_spock-articles). C’est faux. Je n’ai toujours pas changé d’avis à ce sujet d’ailleurs.

Par contre, je sais aussi reconnaître qu’en date d’aujourd’hui, le Québec compte toujours près de 16 000 pompiers à temps partiel alors que ce nombre est décuplé en Europe. Ces pompiers jouent encore un rôle primordial dans le bon fonctionnement des services d’incendie, et ce au sein de plusieurs villes et municipalités.

Alors pourquoi les jeunes Y et Z abandonnent-ils la vocation? Pourquoi délaissent-ils l’implication communautaire alors qu’ils cherchent tant à donner un sens à leur vie? Être pompier à temps partiel, c’est pourtant être en mesure de faire LA différence dans la vie des gens alors que ceux-ci vivent la pire journée de leur vie.

MAIS, être pompier à temps partiel… c’est contraignant… très contraignant. Au-delà de tout, c’est un style de vie! Rares sont ceux et celles qui savent réellement ce que ça implique que de toujours être de garde à « attendre » un appel… à moins d’avoir été justement un pompier à temps partiel ou d’avoir vécu avec un.

D’un, avant même de débuter dans le métier, le futur pompier à temps partiel devra faire une croix sur ses soirées et week-ends pour une période d’environ 18 mois afin de compléter la formation minimale et ainsi être conforme à la réglementation pour occuper son rôle de pompier en toute légalité dans son service d’incendie. Ouf…

Puis débutera sa vraie vie de pompier à temps partiel. Le pompier se préparera tous les jours, au cas où un citoyen aurait besoin de ses services, en :

  • Entretenant son véhicule personnel convenablement et en reculant celui-ci dans l’entrée de garage afin d’être prêt à partir plus rapidement de la maison en cas d’urgence;
  • Plaçant ses bottes et/ou souliers délassés près de la porte d’entrée, et son manteau à portée de main, afin de les enfiler plus rapidement lorsque viendra le temps de quitter en voiture;
  • Disposant ses vêtements de façon stratégique lorsqu’il se déshabillera le soir pour aller dormir… afin de s’habiller plus rapidement lorsque l’appel se fera entendre;
  • Se levant la nuit pour aller uriner… même s’il n’a pas beaucoup envie… au cas où l’appel retentirait;
  • Étant réveillé pendant une heure après s’être levé pour aller uriner…même s’il n’avait pas envie… au cas où l’appel retentirait;
  • Allant magasiner à deux voitures avec sa conjointe et ses enfants au cas où l’appel se ferait entendre et qu’il devrait quitter précipitamment pour la caserne;
  • Prenant des arrangements avec les voisins et/ou ses parents surtout si celui-ci est monoparental, qu’il est de garde, et que ses jeunes enfants sont avec lui à la maison;
  • Faisant des acrobaties pour inclure les nombreuses pratiques, activités sociales et événements reliés au service d’incendie avec son horaire d’école, de travail à temps plein, l’horaire de sa conjointe, la garde des enfants, les rendez-vous sportifs de tous les membres de la famille, les anniversaires, etc.;
  • Limitant sa consommation d’alcool à UN verre de vin au souper ou lors d’une soirée avec des amis pour conserver intactes ses capacités à intervenir efficacement;
  • Refusant des invitations pour des soupers ou soirées chez des amis demeurant à l’extérieur du territoire de la municipalité parce qu’il est de garde;
  • Stationnant son véhicule très loin dans les stationnements ou dans les rues afin de toujours pouvoir avoir facilement accès à celui-ci et ainsi pouvoir quitter rapidement pour un appel;
  • Conservant une forme physique relativement bonne afin de pouvoir intervenir efficacement sur tous les types d’appels;
  • Acceptant que les appels retentiront TOUJOURS au moment où il ne le voudra pas : pendant les repas, les soirées entre amis, à Noël, lorsqu’il sera dans la douche ou la piscine, dans un moment intime avec sa conjointe, lorsqu’il fera la sieste, lorsqu’il sera sur le point de passer à la caisse à l’épicerie, etc;
  • Se levant le matin, même après avoir passé le nuit debout à combattre un incendie, pour aller travailler à son emploi principal, prêt à répondre à un autre appel.

Bref, on limite trop souvent notre vision du travail des pompiers à temps partiel au nombre d’appels auxquels ceux-ci répondront annuellement ou au nombre d’heures de formation auxquelles ils devront assister. Ces deux éléments sont seulement la partie visible de l’emploi et ne justifient pas la désertion dont fait l’objet ce statut par les jeunes générations.

Ce qui fait réellement fuir les jeunes, ce sont les importants sacrifices que font les pompiers à temps partiel au quotidien, en amont et en aval des interventions, afin d’être constamment prêts pour répondre rapidement et efficacement à l’appel du citoyen. L’adoption d’un style de vie « particulier » pour intervenir rapidement aux interventions est aux antipodes de leurs valeurs personnelles axées sur la conciliation travail-famille-loisirs. 

Après avoir vu leurs parents mettre de côté leur qualité de vie au détriment de leur travail, peut-on en vouloir aux jeunes de protéger la leur? Poser la question…. c’est y répondre.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.