Ces dix préjugés qui alimentent les discussions de casernes

Nov 4, 2020 | Urgence

Note de l’auteur : Je tiens d’abord à préciser que je ne juge aucun service, ni aucun pompier avec cette publication. Je ne fais qu’étaler sur papier certaines pratiques constatées ou qui me sont rapportées lors de mes nombreuses visites dans les casernes du Québec.

Si on dit que les pompiers forment une grande famille unie, la réalité est que ce n’est pas toujours vrai. Les pompiers le savent très bien. Le sport national d’un pompier est de se comparer aux autres pompiers et, parfois, de dénigrer ses collègues des autres équipes de travail, des autres casernes ou des autres municipalités de la région…

Il existe malheureusement plusieurs pratiques, à tort ou à raison, qui alimentent les préjugés entre pompiers, qui nourrissent les conversations de casernes et qui font grincer des dents plusieurs acteurs du milieu par le fait qu’elles empêcheraient supposément le milieu de se professionnaliser ou qu’elles causeraient des situations inutilement dangereuses pour les intervenants.

Sans vouloir être exhaustif, j’ai recensé une liste de dix pratiques qui reviennent souvent dans mes entrevues lors d’audits et/ou lors de formations, et qui semblent alimenter ces préjugés pas nécessairement fondés entre pompiers:

  1. Le terme pompier « volontaire » : Alors que la plupart des pompiers ne sont plus si volontaires puisqu’ils doivent respecter un certain taux de présence minimale ou un nombre d’heures minimum de garde interne par mois, le terme demeure sur plusieurs affichages de postes et fait grincer des dents les intervenants du milieu.
  2. Des chemises de pompier… portées avec des vieux jeans : Perçu un peu comme la Coupe Longueuil des années 80… c’est-à-dire gênant pour l’image des pompiers.
  3. Un pompier à barbe : Associé par plusieurs à un manquement aux règles de base en santé et sécurité au travail.
  4. Des véhicules d’urgence peints en jaune : La seule raison entendue est que c’est… laid. 
  5. Le frigo à bière dans la caserne : Perçu par plusieurs comme une relique des défunts clubs sociaux.
  6. Des levées de fonds pour subventionner les dépenses de fonctionnement d’un service de sécurité incendie : Souvent associées aux municipalités pauvres ou celles qui ne croient pas assez en leurs pompiers pour les financer correctement, ce n’est pas autant du dénigrement que de la pitié que les intervenants semblent éprouver envers les pompiers de ces services.  
  7. Les pompiers « réputés être » qui bénéficient de la clause grand-père depuis 1998 : La croyance populaire est qu’un pompier qui n’a pas eu le temps de se former depuis 2004 n’est pas quelqu’un à qui tu veux confier ta propre vie. S’il ne peut porter d’APRIA pour cause de maladie, obésité ou vieillesse, c’est pire… on ne le veut juste pas sur les scènes d’incendie!
  8. Des pratiques de rémunération douteuses, du genre payer les pompiers avec des manteaux en cuir, au comptant ou avec une dinde dont la grosseur est proportionnelle au nombre d’appels répondus : Un seul mot… 2020.
  9. L’absence de système de dénombrement ou de postes de commandement sur les interventions : Ça n’inspire pas confiance aux pompiers qui ont tout simplement peur de l’improvisation que cette pratique envoie par rapport à l’expertise des officiers commandants, et aux risques pour leur propre vie que cela représente.
  10. Les casernes sans pompiers : Les pompiers ont généralement un inconfort moral face au faux sentiment de sécurité que cette pratique vend aux citoyens de ces municipalités.

Pourquoi publier ces préjugés au risque de causer de l’inconfort dans plusieurs municipalités ou au sein de plusieurs brigades? En toute sincérité, j’ai l’innocence de vouloir enrayer ces idées préconçues qui sont souvent non-fondées et qui causent et/ou qui alimentent les tensions entre les brigades de pompiers dans plusieurs régions du Québec, et qui nuisent notamment aux initiatives de coopération intermunicipale. Pour ce faire, ça commence par nommer le problème par son nom. C’est exactement ce que je viens de faire.

Maintenant, c’est quoi la suite? Elle appartient aux acteurs du milieu. On peut critiquer vivement l’auteur de ces lignes pour avoir écrit ce billet, ou on peut accepter la fatalité que ce ne sont pas tous les services qui évoluent au même rythme et passer à l’action. Peu importe d’où vous partez, vous devrez alors travailler à décloisonnez vos services de sécurité incendie afin de faire tomber ces barrières à la collaboration, notamment par de la formation à l’échelle régionale et par de l’information, basée sur des faits vérifiables, à l’intention de vos pompiers. Quelle réponse choisirez-vous?

Photo par Matt Chesin sur Unsplash

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.