Et si la pénurie de pompiers volontaires était aussi attribuable… aux pompiers?

Feb 2, 2017 | RH

J’en entends déjà me traiter d’hypocrite alors que j’ai écrit, par le passé, un article sur les raisons qui expliquent pourquoi les générations Y et Z ne veulent plus devenir pompiers à temps partiel ou volontaires (i.e. qui ne vivent pas à temps plein de leur métier).

https://www.linkedin.com/pulse/ce-qui-fait-que-les-y-et-z-ne-deviennent-plus-pompiers-lalonde?trk=pulse_spock-articles

Je n’ai pas changé d’avis à cet effet.

Par contre, mes observations des derniers mois auprès des internautes me poussent à croire que le choc intergénérationnel n’est pas suffisant pour justifier l’étendue du problème au Québec, ailleurs au Canada, en France, en Belgique, en Suisse, en Nouvelle-Calédonie, aux États-Unis, ou ailleurs dans le monde.

Il y a autre chose de plus profond.

En fait, je crois fermement qu’un autre facteur important doit être considéré lorsque vient le temps d’expliquer le manque criant de relève du côté des pompiers volontaires. Je l’appelle le facteur X. Un facteur multiplicateur qui est de l’ordre de… l’inconscient.

Je m’explique.

On parle de relève… d’aspirants-pompiers… alors ceux-ci sont âgés majoritairement de 35 ans et moins. Les milléniaux. La génération branchée sur les réseaux sociaux qui peut traiter une quantité phénoménale d’information au quotidien. Ils passent, en moyenne, 20 minutes par jour sur Facebook et visionnent plus de 8 milliards de vidéos sur Snapchat quotidiennement. Lorsqu’une vidéo ou une image devient virale sur le web, non seulement ils l’ont vu mais ils l’ont commenté ET ils l’ont partagé. Ce sont des utilisateurs actifs des réseaux sociaux. Ils sont, à la fois, influenceurs et influençables.

D’autre part, nous avons les pompiers à temps partiel actuellement à l’emploi des services de sécurité incendie. Majoritairement membres des générations boomers, X et Y. Des utilisateurs plutôt passifs des réseaux sociaux sauf lorsque les sujets leur font vivre des émotions profondes.

Justement, derrière l’image du guerrier fort se trouvent souvent des êtres très insécures (voir https://www.linkedin.com/pulse/pourquoi-un-pompier-naime-pas-le-changement-patrick-lalonde?trk=pulse_spock-articles ).  Cette insécurité… ils cherchent à la compenser par la reconnaissance des gens autour d’eux… en guise d’approbation pour leurs efforts… et à la recherche d’encouragements pour les nombreux sacrifices qu’ils font au quotidien afin de vivre leur passion du feu.

Comment cela se répercute-t-il sur les réseaux sociaux?

Avez-vous déjà remarqué que les pompiers partagent beaucoup plus les images qui font d’eux des êtres d’exception auprès de leur entourage que les images qui font d’eux des êtres humains ? Que les articles ou images qui font état des sacrifices qu’imposent la vie de pompiers temps partiel suscite suffisamment d’émotions fortes pour que ceux-ci prennent le temps de partager le tout à leurs amis…. En guise d’approbation et/ou d’explication pour leur rythme de vie différent.

Vous doutez de ce que j’affirme? Et bien j’ai des données qui le prouvent. Dernièrement, j’ai affiché une illustration qui donnait une image du pompier-qui-fait-beaucoup-de-sacrifices (i.e. Recherchés – pompiers à temps partiel) et une image du pompier-qui-est-tellement-heureux-de-l’être (i.e. Top-10 des raisons pour être pompier à temps partiel). Le résultat? Le pompier-sacrifié a été vu par 178 818 personnes (et partagé plus de 1377 fois) alors que le pompier-heureux été vue par 30 074 personnes (et partagé 206 fois). Est-ce une coïncidence? Non. Faites le tour des pages de Pompiers ou de sécurité incendie sur Facebook ou LinkedIn et vous allez observer beaucoup plus d’articles ou d’images à connotations négatives et/ou héroïques que positives sur le métier de pompier à temps partiel. 

Ces statistiques viennent corroborer les données marketing du client mécontent de son expérience en magasin qui partagera ses émotions fortes avec 10 amis en guise d’approbation alors que le client heureux ne le fera qu’avec trois amis lors de discussions de table.  

En d’autres mots, les pompiers ont tendance à partager… inconsciemment… beaucoup plus les images ou articles qui parlent des difficultés associées au métier de pompier à temps partiel plutôt que les articles qui parlent du bonheur d’exercer le plus beau métier du monde… à temps partiel. Ça leur donne un statut d’exception… et ça suscite davantage une vague de sympathie chez leurs amis à l’égard de leur rôle dans la communauté que de dire que tout est beau et agréable.

Je ne juge pas…. Je ne fais état que d’observations!

Conséquences?

Je reviens à nos aspirants-pompiers, qui se demandent encore s’ils veulent réellement s’impliquer dans un service de sécurité incendie, mais qui sont bombardés d’images et d’articles provenant de leurs « amis » Facebook qui font état des difficultés associées à l’occupation d’un poste de pompier à temps partiel. Est-ce de cette façon que nous faciliterons le recrutement dans nos services?

Par ailleurs, vous ai-je mentionné que la principale raison qui explique pourquoi un futur candidat viendra ou non postuler comme pompier à temps partiel dans votre service de sécurité incendie est la familiarité de celui-ci avec votre service? Si les informations qu’il obtient de ses « amis » (avec qui il est familier) sont négatives, pourra-t-on en vouloir à ce candidat de se tourner vers un autre emploi?

Bref, il n’y a rien de méchant dans mon article. Par contre, je lève un drapeau bien haut sur les dangers que représentent les réseaux sociaux et surtout l’impact qu’ils ont sur le recrutement d’aspirants-pompiers pour les services à temps partiel.

Les pompiers en poste doivent réaliser qu’ils ont un rôle actif à jouer dans la promotion de leur métier auprès des aspirants-pompiers et qu’ils devront, à partir de maintenant, utiliser consciemment les réseaux sociaux afin de véhiculer une image positive de leur métier s’ils veulent avoir une chance de contrer le désengagement des générations Y et Z face au métier de pompier à temps partiel.

Par Patrick Lalonde

Président d’ICARIUM Groupe Conseil

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.