Et si on commençait à former des officiers n’ayant jamais été pompiers?

Apr 30, 2021 | Urgence

La France le fait pourtant déjà depuis plusieurs années et ça semble bien fonctionner.

Au Québec, puisque nous sommes une société distincte, nous surfons encore sur la vague du règlement sur les conditions pour exercer au sein d’un service de sécurité incendie municipal qui stipule que : « Le pompier qui dirige un service de sécurité incendie doit être titulaire… » insinuant qu’on ne peut être officier ou directeur sans être un pompier.

Cette clause de protectionnisme, qui avait tout son sens en 2004 lors de l’adoption du règlement, est très limitative aujourd’hui et a conduit, 17 ans plus tard, le Québec tout droit vers une pénurie d’officiers cadres de qualité au sein de nos services de sécurité incendie.

On ne se le cachera pas… allez consulter les sites de recrutement en sécurité incendie et vous allez constater que les postes de capitaines cadres, chefs aux opérations, directeurs-adjoints et de directeurs sont très nombreux et doivent souvent aller en 2e affichage avant d’être comblés.

Derrière les portes fermées, je ne compte plus les processus de recrutement où nous avons eu à nous gratter la tête longtemps avant de nous résoudre à recruter le moins pire du groupe plutôt que le meilleur. Le calibre des officiers cadres est en chute libre et les services fortunés n’hésitent pas à se cannibaliser pour se voler les meilleurs candidats à coup de titres ronflants, de salaires qui explosent et d’avantages sociaux de toutes sortes. Les petits services de sécurité incendie sont incapables de rivaliser dans cette nouvelle réalité. Bref, c’est le Far West sur le terrain.

La question est légitime : Où sont nos leaders en gestion? La réponse est simple…ils sont chez eux! Voyez-vous… La plupart auront tout simplement été refusés avant même de rentrer pompiers au sein d’un service de sécurité incendie ou dans une école de pompiers car ils ne correspondaient pas avec le profil recherché.

Oui, je vous entends… il y a d’excellents leaders dans nos casernes. Je suis 100% d’accord avec vous. Ils sont des super pompiers issus de la base qui prônent par l’exemple, qui savent rallier les troupes et qui maîtrisent les fondements de la chimie du feu comme personne. On en veut des officiers comme ça parce que c’est eux qui rendent les opérations efficaces en caserne et lors des interventions.

Mais, si ces qualités font d’eux des officiers crédibles dans nos casernes, leur permettent-elles de pouvoir se tirer d’affaire, du haut de leur formation d’officier I ou même d’officier 2, devant des cadres de direction diplômés des meilleures universités, face à des conseils de ville dont les membres sont de plus en plus éduqués et surtout, sont-ils bien outillés pour gérer les bêtes complexes que sont devenus nos services de sécurité incendie depuis la promulgation de la Loi en sécurité incendie? Non.

Alors pourquoi ne pas se résoudre à faire comme la France et embaucher des gestionnaires à qui nous enseigneront les bases de la sécurité incendie et de la sécurité civile, plutôt que l’inverse?

Oui, oui… embaucher des comptables agréés, des ingénieurs en mécanique du bâtiment ou des avocats spécialisés en droit du travail comme officiers en sécurité incendie et leur enseigner… non pas comment manier une gaffe, dresser une échelle ou effectuer une recherche primaire… mais plutôt comment lire et interpréter les phénomènes thermiques, diriger efficacement des interventions avec une structure de commandement, et comment structurer des programmes de prévention des risques qui soient fonctionnels.

On inverserait alors la logique actuelle où, plutôt que d’avoir des chefs pompiers tributaires d’une super adjointe administrative, dépendants de leurs collègues cadres, ou limités à des rôles de simples exécutants par leur direction générale à cause de leur incapacité à pouvoir effectuer le travail administratif associé à leur fonction… on aurait des vrais gestionnaires incendie autonomes sur le plan administratif, mais tributaires de leurs officiers de caserne et de leurs pompiers pour la bonne marche des opérations incendie sur le terrain.

Gros changement de paradigme, j’en conviens, mais qui est, selon moi, devenu nécessaire par la pénurie actuelle d’officiers de gestion aptes à pouvoir diriger avec succès nos organisations complexes.

Alors, en sommes-nous rendus à devoir former des officiers de gestion n’ayant jamais été pompiers? Je crois que poser la question est y répondre.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.