Et si on réduisait le nombre de services d’incendie à 12?

Sep 7, 2022 | Urgence

La DG de la SQ a publié en 2020 un audacieux livre vert qui recommandait de réduire le nombre de corps policiers. Pourtant ils n’étaient que 31 à couvrir la province de Québec en entier et, à ses yeux, c’était déjà trop. Elle insistait sur le fait que le nombre de services en fonction ne permettait pas d’offrir un service optimisé aux citoyens, et n’était pas efficace dans la lutte contre la grande criminalité.

Pendant ce temps, le Ministère de la sécurité publique recense encore, sur son site web, pas moins de 642 services de sécurité incendie pour desservir les citoyens du Québec.

Peut-on réellement croire que nos ressources municipales dédiées à la sécurité incendie sont ainsi optimisées? Que nous sommes réellement efficaces dans notre lutte contre les incendies d’envergure? Dans nos sauvetages techniques? Ou mieux encore, dans notre lutte contre les sinistres dus aux phénomènes climatiques qui ne cessent d’augmenter à une vitesse vertigineuse? La réponse est simple : Non.

Pourtant, les MRC et les municipalités ont eu 21 ans depuis la promulgation de la loi en sécurité incendie en 2001 pour s’organiser et, à part quelques initiatives régionales qui ont connu un certain succès, il n’en demeure pas moins que l’optimisation des ressources à l’échelle régionale demeure l’exception plutôt que la règle. Oui, il y a beaucoup d’études d’optimisation (financées en partie par Québec) qui ont eu lieu au cours des dernières années ou qui sont présentement en cours… je le sais parce que j’ai la chance d’en chapeauter plusieurs… mais il faut se rendre à l’évidence que, malgré toutes mes bonnes intentions à vouloir aider les municipalités à sauver leurs services de proximité, peu d’entre elles vont vraiment suivre mes recommandations émises dans les rapports, et peu de résultats concrets se verront réellement sur le terrain.

L’ACSIQ a publié un livre blanc « Voir Venir » en 2018 qui proposait plusieurs pistes intéressantes pour réorganiser la gouvernance des services sécurité incendie, la prévention des risques, l’organisation des secours, la formation des intervenants, et la mise en place d’un cadre législatif renouvelé qui serait renforcé par un commissaire aux incendies. Alors que plusieurs acteurs du milieu croyaient que ce livre allait constituer l’électrochoc nécessaire pour remodeler les services d’incendie pour les 20 prochaines années, c’est principalement la complexité de l’appareil gouvernemental et le lobbying de certains regroupements qui auront ralenti la mise en place des recommandations formulées. Ceci étant dit, je ne fais pas un constat d’échec par rapport à ce livre… je mentionne seulement que l’implantation des recommandations formulées n’a pas été aussi rapide qu’anticipé.

Je me questionne toutefois à savoir s’il se pourrait que l’électrochoc tant attendu dans le milieu de la sécurité incendie soit, finalement… le livre vert déposé par la SQ?

Je me permets de fermer les yeux et d’imaginer un Québec à l’image de ce que proposait Madame Beausoleil, la DG de la SQ, pour la sécurité incendie.

Protection à trois niveaux

D’abord, un service de sécurité incendie de niveau 3 qui serait provincial et qui protégerait l’ensemble des petites et moyennes municipalités de la province. Ce service national (i.e. lire ici provincial) offrirait la grappe complète de services, c’est-à-dire la lutte contre les incendies, la prévention, tous les sauvetages techniques, sans compter la gestion des mesures d’urgence. Ce service serait dirigé par du personnel à temps plein situé dans un quartier général, et les opérations seraient dirigées par des officiers à temps plein disposés un peu partout dans des casernes régionales d’incendie. La taille de cette structure permettrait non seulement d’offrir des conditions de travail intéressantes aux pompiers qui seraient à temps plein dans les casernes régionales et/ou à temps partiel dans des casernes satellites minutieusement disposées pour les plus grands territoires à desservir, mais elle permettrait d’instaurer un service de formation qui standardiserait le niveau de service offert aux citoyens de partout au Québec, en plus d’avoir la portée nécessaire pour pouvoir appliquer une prévention des risques qui soit uniforme à travers l’ensemble des municipalités.

D’ailleurs, pour compenser l’éloignement des casernes régionales des petites municipalités dévitalisées sans possibilités de casernes satellites, une prévention des incendies musclée viendrait assurer la présence en quantité suffisante d’avertisseurs de fumée fonctionnels dans les maisons, de plans d’évacuation compris par les occupants et s’assurerait de sensibiliser les citoyens, par un plan national de communication à l’instar de la SOPFEU, et sur les comportements exemplaires à adopter pour prévenir les incendies de bâtiments ou les dangers d’incendie. Ce modus operandi est déjà en vigueur en régions au Québec et fonctionne. Oui… je sais… on ne sauverait plus les maisons et on ne limiterait plus les pertes matérielles comme on le fait présentement… mais reconnaissons que de toute façon, on manque de pompiers dans plusieurs casernes (donc les maisons brûlent anyway!) et les maisons incendiées sont souvent démolies, de toute façon, par les assureurs malgré nos efforts à vouloir limiter les dégâts.

Dans les villes de niveau 2, soit Laval, Longueuil, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau, Lévis, Saguenay, un regroupement des villes de la couronne nord et un regroupement des villes de la couronne sud de Montréal, la taille importante de celles-ci et la capacité de payer des citoyens feraient en sorte que la sécurité incendie serait offerte par des services qui offriraient l’ensemble des spécialités inclues dans l’offre du service de niveau 3, mais seulement sur un territoire délimité géographiquement (donc forcément plus petit).

Finalement, le niveau 1 serait réservé au service de sécurité incendie de Montréal qui est vraiment dans une classe à part au niveau de sa taille et de son budget astronomique. Celui-ci aurait l’obligation d’offrir l’ensemble des spécialités à la population montréalaise, mais devrait également être apte à pouvoir venir en support aux services de niveau 2 ou 3, en cas de besoins.

Des civils en support

À l’instar de ce que proposait Madame Beausoleil, les pompiers professionnels effectueraient des tâches avec un niveau de dangerosité élevé, et leur formation serait dorénavant supervisée par l’École nationale de sécurité publique après la fusion des deux ENPQ.

D’autre part, les tâches administratives seraient maintenant assurées par des employés civils un peu partout sur le territoire de la province. Ces employés, sans formation spécifique en sécurité incendie, relèveraient des directions incendie, et s’occuperaient de gérer le normatif tels que la prévention des incendies, la sécurité civile, la gestion des budgets d’opérations, l’approvisionnement en ressources matérielles (incluant les appels d’offres), et la gestion des ressources humaines .

Pourquoi changer?

Bon… soyons honnête… pourquoi vouloir changer l’actuel? La plupart des éléments mentionnés dans les paragraphes précédents sont déjà prévus implicitement dans les orientations ministérielles en matière de prévention incendie publiées en 2000 à travers l’égide des MRC (objectifs 6, 7 et 8). Par contre, je me dis qu’après 21 ans, si ce n’est toujours pas arrivé… c’est qu’il n’y a aucune volonté réelle pour que ça devienne une réalité. Ceci étant dit, il faut trouver un plan B qui saura rallier les décideurs et créer cette coalition puissante nécessaire à tout changement.

Je me dis que si un tel concept fonctionne en France dans le modèle des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et que la police semble se diriger vers un modèle d’affaires semblable… toute personne raisonnée devrait minimalement considérer cette perspective de desserte à 12 services comme étant du domaine du possible.

Il va sans dire que l’instauration d’un tel modèle d’affaires en sécurité incendie ferait perdre des acquis (i.e. du pouvoir !) à beaucoup de monde qui gravitent dans le secteur, alors attendez-vous à ce que les décideurs municipaux visés et/ou tous les officiers grandement attachés à leurs grades émettent des opinions très fortes juste à l’idée véhiculée dans cet article.

Par contre, n’oublions jamais que la mise en place d’une telle desserte à trois niveaux, à l’image de ce que proposait la SQ, pourrait assurer une plus grande uniformité dans les services que reçoivent nos citoyens et une plus grande efficacité lors de nos interventions… nous rapprochant de notre mission première de sauver des vies et protéger des biens.

L’absence de dédoublement dans l’achat d’équipements à l’échelle régionale, dans la gestion administrative des services et dans l’embauche des intervenants permettrait l’élimination de dépenses sans valeur ajoutée, qui dégageraient des économies d’échelle, qui absorberaient elles-mêmes partiellement les augmentations de la masse salariale offerte aux pompiers… permettant ainsi aux municipalités de contrôler partiellement leurs coûts en toute légalité… plutôt qu’en contestant leurs schémas de couverture de risques ou pire, en défiant en toute connaissance de cause les lois du travail et règlements provinciaux en matière de santé et sécurité au travail.

Bref, je vais me permettre de paraphraser Madame Beausoleil afin de conclure cette réflexion : « Quand on est plus grand, c’est plus facile aussi d’avoir une capacité accrue lors des interventions. » . Pensez-y.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.