Il faut venir en aide à ceux qui prennent les bouchées doubles

Dec 14, 2020 | RH

Il fut jadis un temps où les casernes de pompiers étaient pleines à craquer. Partout au Québec. On y admettait les aspirants au compte-goutte… c’était l’époque où être pompier était un privilège.

Aujourd’hui, l’élargissement de la mission des pompiers, notamment en lien avec les accidents automobiles, les sauvetages techniques et les appels médicaux, fait en sorte qu’ils doivent répondre à davantage d’appels que par le passé… avec moins de pompiers pour les aider! En effet, plusieurs brigades à temps partiel, qui perdaient déjà des membres au fil des années, ont vécu une véritable hécatombe depuis le début de la pandémie de la COVID-19. La diminution du nombre d’incendies, l’incompatibilité de certains programmes de soutien financier (ex : PCU) et l’augmentation de la dangerosité des interventions médicales auront eu raison de la passion de plusieurs pompiers qui ont décidé d’accrocher leurs casques.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le départ de ces pompiers à temps partiel du milieu de l’incendie fait mal. Très mal. Il n’a pas seulement un impact tangible sur les temps de réponse qui s’allongent dans plusieurs municipalités… mais il a aussi un impact psychologique sur les pompiers qui restent.

D’un, les pompiers qui restent sont de plus en plus exposés, individuellement, à des appels d’urgence au sein de leur communauté… causant la frustration, non seulement de leurs employeurs qui doivent les regarder partir plus souvent de leurs lieux de travail, mais également de leurs familles. De plus, le nombre répété d’appels d’urgence accroît les chances, pour ces pompiers, de devoir intervenir chez un ami ou un membre de leur famille… exposant ceux-ci à des situations pour lesquels ils ne devraient pas être exposés normalement dans leur vie. Ces éléments sont les ingrédients essentiels pour développer une détresse psychologique…

Puis, un autre concept important qu’on oublie souvent est ce qu’on appelle, en management, le syndrome du survivant. La diminution des effectifs au sein d’une organisation provoque une sorte de rupture du contrat psychologique traditionnel entre le pompier et son employeur. Ce bris a des conséquences sur le climat de travail, le niveau de motivation et sur le rendement des pompiers.

Les symptômes chez ceux et celles qui souffrent de ce syndrome? Colère, culpabilité, sentiment d’injustice, méfiance envers la direction de la municipalité ou du service, démotivation, surcharge de travail, baisse de productivité, cynisme face aux élus… et épuisement. On le sent d’ailleurs présentement dans nos casernes alors que le climat de travail n’est pas à la joue.

Les officiers de ces services sont-ils bien outillés pour intervenir auprès de leurs pompiers afin de détecter les troubles de stress post-traumatiques et/ou les symptômes de détresse psychologique? Non. Sont-ils bien outillés pour adresser les problèmes qu’ils pourraient détecter? Encore moins.

Il serait facile de vouloir appliquer un vieux remède qui consiste à croire que l’argent réglera tout en se contentant d’augmenter les salaires des pompiers sous forme de hausses salariales, d’heures minimales payées par appel ou même de primes de risque. Personne ne crachera sur cet argent mais ce serait comme apposer un diachylon sur le bras d’un patient ayant le rhume. Bref, ce sera des dollars mal dépensés qui ne régleront en rien la détresse psychologique de ces pompiers.

Non… la réalité est qu’en attendant que les effets de la pandémie de la COVID-19 se déciment, il faut tout faire pour favoriser le recrutement de nouveaux pompiers à temps partiel afin d’alléger la tâche des intervenants actuels, et il faut intervenir pour adresser la détresse psychologique chez ces vaillants pompiers qui prennent les bouchées doubles en assurent encore la garde.

La vraie solution passe par trois éléments :

  1. Accroître la capacité des officiers à pouvoir gérer l’aspect humain de la relation avec les pompiers. Ça veut dire de parler aux pompiers régulièrement et de les écouter avec un réel intérêt. Ça veut dire de sortir du modèle de gestion transactionnelle pour établir une relation de type relationnelle avec ses pompiers. Si ce type de relation officier-pompier est courante dans les services à temps plein, elle ne l’est pas dans les services à temps partiel.  
  2. Outiller les officiers et les pompiers à faire face aux problèmes psychologiques. Ça signifie de sensibiliser les intervenants à ces types de problèmes par le biais d’un programme de pairs aidants. Ça veut dire d’être proactif et d’avoir accès à des ressources qualifiées dans le domaine du support psychologique à la suite d’interventions sensibles. Bref, ça veut dire de se soucier de l’humain derrière l’uniforme.
  3. Avoir assez d’humilité et de courage pour revoir à la baisse ses attentes. Dans un contexte de pénurie de la main-d’œuvre, il faut parfois accepter de réduire temporairement ses ambitions en matière de délais d’intervention et/ou de spécialités offertes… afin de donner un peu d’air frais à ses troupes.

Je me permets également d’émettre un vœu pieux qui constituerait une quatrième piste de solution, mais qui nécessiterait aussi beaucoup plus de temps et d’investissements :

Il faut impliquer les intervenants de tous les milieux à la promotion du rôle essentiel que jouent les pompiers à temps partiel au sein de leurs communautés. Le but ici serait d’accroître le sentiment de fierté associé au métier et à mettre en place les conditions idéales visant à favoriser le recrutement de nouvelles recrues pour nos casernes dégarnies.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.