Le recrutement des pompiers à temps partiel passe par un changement profond des mentalités

Sep 25, 2019 | RH

Le sujet est brûlant d’actualité. Comment doit-on s’y prendre pour repeupler nos casernes qui emploient des pompiers à temps partiel?

De prime abord, il y a ceux qui se disent que construire une caserne neuve ou acheter un rutilant véhicule d’urgence va attirer plein de nouveaux candidats. ÇA NE FONCTIONNE PAS. Les exemples supportant cette réponse sont nombreux. Oui, ça va susciter de l’intérêt et de la curiosité, ça c’est certain, mais pas l’engagement nécessaire pour passer à travers le processus pour devenir un soldat du feu sur le long terme.

Puis, il y a ceux qui vous diront que c’est par les regroupements de services que ça doit passer. Ils ont PARTIELLEMENT RAISON. Si votre municipalité est dévitalisée au point où la population active ne se limite qu’à une poignée d’individus qui sont eux-mêmes surtaxés à faire rouler l’économie locale, ou qui doivent s’expatrier sur plusieurs centaines de kilomètres pour gagner leur vie, la solution des regroupements s’applique. En gros, une municipalité va alors favoriser le recrutement de pompiers à temps partiel en élargissant le bassin de candidats potentiels à d’autres municipalités limitrophes afin d’aller chercher la masse critique nécessaire d’individus pour créer une brigade incendie viable. Par contre, cette municipalité devra être consciente que ces candidats demeureront sur un plus vaste territoire… donc devront parcourir une plus longue distance pour arriver en caserne… allongeant ainsi les temps de mobilisation des pompiers. C’est une solution hybride imparfaite qui s’applique très bien si l’objectif ultime est d’instaurer une administration à temps plein pour gérer ces méga-services, mais où le statut à temps partiel des pompiers limitera toujours l’efficacité et l’efficience des intervenants sur les incendies et autres sinistres.

Finalement, il y a ceux qui affirment à qui veut bien l’entendre que ça prend des pompiers à temps plein partout à l’image de la Sûreté du Québec ou autres corps policiers. OUI, DANS UN MONDE PARFAIT. Les petites municipalités, principalement celles de moins de 5 000 habitants, n’ont pas les moyens de se payer des pompiers à temps plein en mode « attente » en caserne même si elles regroupent plusieurs casernes sur un immense territoire à couvrir… car les longs délais d’intervention réduiront à néant tout avantage à avoir des pompiers en caserne prêts à intervenir. Par contre, cette solution peut très bien s’appliquer dans les collectivités de plus de 5 000 habitants situées sur des territoires dont la superficie est limitée. Elle a la particularité de régler le problème de la force de frappe (i.e. avoir un groupe restreint de pompiers qui interviennent rapidement sur un incendie) mais a le désavantage de démobiliser les autres pompiers qui ne sont pas de garde… ce qui cause des taux de rappels de pompiers anémiques lors d’interventions fondées… et causant à son tour d’importants taux de roulement chez les pompiers à temps partiel qui resteront dans ce type de structure. On compense alors, dans ces rares cas, l’absence de pompiers à temps partiel avec de l’entraide des autres municipalités limitrophes qui apportent leurs lots de pompiers disponibles… mais aussi de factures associées à cette entraide. Une solution qui est dispendieuse, mais quasi-parfaite sur le plan opérationnel pour les moyennes et grandes municipalités.

Quel modèle d’affaires doit-on appliquer aux petites municipalités?

Constat : Le modèle d’affaires traditionnel des services de sécurité incendie repose sur deux matières premières : L’eau en quantité suffisante et la disponibilité illimitée de ressources humaines. 

L’eau ne manque pas au Québec. Elle est parfois loin, mais il y en a toujours.

Par contre, lorsqu’une municipalité réalise qu’il lui manque de ressources humaines à temps partiel du côté de l’intervention, elle doit avoir l’humilité de changer son modèle d’affaires…

Avec l’absence de pompiers à temps partiel en quantité illimitée, elle économise sur la masse salariale, sur les frais de formation et sur le coût des équipements nécessaires pour opérer le service. Elle doit alors réinvestir ces sommes dans l’analyse des risques en amont et dans la prévention des incendies afin de réduire au minimum les risques de devoir combattre un incendie… par des inspections et des activités d’éducation du public et/ou par l’application d’une réglementation qui visera à instaurer des moyens passifs de combattre les incendies dans les bâtiments jugés critiques… afin de compenser les interventions actives laborieuses à prévoir par les pompiers à temps partiel (en nombre insuffisant dois-je rappeler). Cette prévention doit être effectuée par des ressources qui peuvent être partagées à plus d’un service, si nécessaire, créant ainsi des emplois à temps plein au sein des organisations municipales. Ça devient alors plus facile de recruter quelqu’un qui pourra gagner sa vie avec sa passion du métier plutôt que de tenter de recruter des ressources à temps partiel qui vont ruiner leurs soirs et week-ends pour une poignée de dollars à attendre un appel « au cas où ».

Pour ce qui est des pompiers à temps partiel, il faut compenser l’absence de ressources en quantité illimitée et la hausse des délais de mobilisation des pompiers par des techniques de combat appropriés. On retarde l’évolution d’un incendie par l’application rapide d’eau afin de réduire les gaz chauds et par la compartimentation des bâtiments… bref, on se donne du temps supplémentaire pour intervenir efficacement grâce à la formation qu’on donnera aux pompiers et l’application de ces nouvelles techniques de combat adaptées aux bâtiments et aux mobiliers contemporains. On doit également adapter les bonne stratégies de combat incendie. Peut-être que l’époque lointaine de l’attaque offensive est révolue pour certains services…aussi difficile que cela puisse paraître, et que le mode défensif devient la seule alternative viable pour ceux-ci.

Finalement, les petites municipalités ont tout intérêt à assigner des officiers de gestion compétents, qui comprendront les trois paragraphes précédents, à la direction de leurs services de sécurité incendie. Pour ce faire, ça doit obligatoirement passer par l’instauration de conditions de travail avantageuses qui favoriseront l’avancement au sein des services de sécurité incendie, par le réajustement des salaires et avantages sociaux à un niveau concurrentiel avec les autres alternatives disponibles sur le marché du travail, par une refonte en profondeur des critères de recrutement des officiers à tous les niveaux de l’organisation, et par l’encadrement de chaque officier avec de la formation ciblée en gestion de l’incendie et du coaching personnalisé.

Bref, les solutions ne sont pas simples mais elles existent. Par contre, le changement de culture associé au modèle d’affaires préconisé dans cet article risque de faire grincer des dents dans le milieu très conservateur de l’incendie. C’est pourtant le prix à payer pour conserver un service de sécurité incendie de proximité au sein de sa municipalité.

Vous avez le choix d’oser le changement… ou de vous plaindre à qui veut bien l’entendre que vous manquez de pompiers à temps partiel dans votre municipalité … tout en attendant l’intervention divine du Ministère. Que choisirez-vous?

#OsonsLeChangement #LeadersDuFeu #PensezAutrement

Patrick Lalonde

 ICARIUM est la seule firme bilingue spécialisée dans le développement du leadership des officiers & le management efficient des services de sécurité incendie au Canada.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.