On a atteint la limite de la première réforme en sécurité incendie

Nov 10, 2022 | Gestion

Pourquoi? Pour deux bonnes raisons : l’une est financière et l’autre est humaine.

La raison financière frappe de plein fouet plusieurs régions du Québec.

Éteindre des incendies coûte cher. Très cher même. Prenons d’abord les frais de base pour intervenir sur un incendie de bâtiment?

  • Le salaire des pompiers qu’on paie en garde interne à la caserne;
  • La prime qu’on paie aux pompiers en garde externe qui ont l’obligation de répondre aux appels d’urgence;
  • Le salaire des pompiers et des officiers qui interviennent sur l’appel;
  • Les avantages sociaux associés à l’ensemble des salaires payés;
  • L’essence et le diesel consommés par les véhicules et équipements;
  • L’usure des véhicules utilisés;
  • Le coût de remplacement des équipements périssables utilisés;
  • Le coût de remplacement des équipements brisés pendant l’intervention;
  • Le coût des municipalités venues aider, en entraide, les pompiers de la municipalité.

Cette liste est toutefois incomplète. En fait, les vrais coûts qui font sourciller plusieurs directions municipales n’ont même pas encore été abordés. Combien coûte réellement un incendie de bâtiment pour une municipalité? Les plus analytiques dans le lot qui grattent le dossier ajouteront aussi les frais suivants à la liste précédente :

  • Le coût des uniformes portés dans le cadre du travail des pompiers;
  • La pondération des frais de formation et du maintien des compétences des pompiers et officiers en lien avec la nature de chaque type d’intervention;
  • Les coûts relatifs à l’utilisation des équipements et véhicules pendant la formation et le maintien des compétences des pompiers;
  • Les coûts d’entretien des véhicules, des échelles portatives, des équipements sur les véhicules, des équipements en caserne et des équipements de protection individuelle des intervenants du service;
  • Les frais reliés au fonctionnement et à l’entretien de la caserne de la municipalité;
  • La perte de revenus fonciers en lien avec le terrain sur lequel se trouve la caserne;
  • Le coût de traitement de l’eau utilisée par les pompiers pour combattre l’incendie (car ça coûte beaucoup d’argent traiter l’eau de la municipalité!) ou le coût des autres agents extincteurs utilisés sur l’intervention (ex : mousse);
  • Le coût de décontamination et de nettoyage des habits de combat et des équipements utilisés au feu;
  • Le coût de traitement des formulaires et rapports en lien avec l’intervention;
  • La quote-part des logiciels utilisés pour héberger les rapports d’intervention et transmettre les DSI au ministère de la Sécurité publique;
  • Le coût de traitement des paies des intervenants du service;
  • Le coût pour effectuer la facturation des intervenants provenant des municipalités venues en entraide pendant l’intervention… et le coût associé aux nombreux suivis nécessaires pour se faire payer par la suite;
  • La quote-part découlant de la gestion de la santé et sécurité au travail en caserne et lors des interventions, qui monopolise beaucoup de temps au niveau des RH et/ou direction générale;
  • Les frais de recrutement pour des officiers et pompiers;
  • Le coût des relations de travail découlant des conflits qui surviennent lors des interventions;
  • Les coûts d’emprunt pour financer la construction des casernes et les achats de véhicules et d’équipements pour intervenir.
  • Etc.

Sur le plan humain, c’est pire.

D’un, on manque cruellement de gestionnaires chevronnés pour diriger les bibittes municipales qu’on a créées à coup de déclarations de compétences, de régies intermunicipales, de délégations de compétences, ou de desserte incendie. Si les formations d’officiers ne préparent nullement les dirigeants à gérer la complexité de ces organisations-là, les conditions de travail avantageuses offertes aux pompiers en dissuadent plusieurs à vouloir monter en grade, créant ainsi une pénurie de candidats potentiellement intéressants.

De plus, ai-je besoin de vous rappeler que le Underwriter Laboratories prouvait, en 2016, qu’un bâtiment construit selon les normes en vigueur aujourd’hui prendra cinq minutes avant d’atteindre l’embrasement généralisé comparativement à 29 minutes 30 ans plus tôt?

Qui a les moyens de construire des casernes aux 8 km et les peupler d’intervenants en garde interne prêts à intervenir dans un lapse de temps aussi rapide? Qui a le territoire suffisamment petit pour se le permettre? En fait, qui a tout simplement le budget pour le faire?

« Regroupez-vous », crieront certains. Ouais… mais aucun regroupement n’a jamais fait pleuvoir des CV de pompiers et, soyons honnêtes, les diplômés du DEP/DEC veulent juste travailler dans l’axe du mal (i.e. : expression qui réfère à l’axe Montréal-Québec située à moins de 20 km au nord ou au sud des autoroutes 20 et 40) …et c’est souvent qu’en attendant l’ouverture d’un concours dans un service à temps plein issue du Top-5. La réalité, c’est que même si t’as des postes à temps plein à offrir à des pompiers ou officiers mais que t’as le malheur d’être à l’extérieur de l’axe maudite, t’as très peu de candidats intéressés ou intéressants… et ça, c’est si t’as des maisons à vendre ou des appartements libres pour pouvoir accueillir les candidats difficilement recrutés!

Bref, lorsqu’on considère l’ensemble des coûts directs et indirects d’un incendie de bâtiment, ça devient très dispendieux pour une municipalité d’assumer le tout. En fait, ça devient tellement dispendieux de se conformer aux orientations actuellement associées aux schémas de couverture de risques en sécurité incendie que plusieurs municipalités sont à se questionner sur la pertinence de se conformer aux lois et règlements en vigueur au Québec afin de plutôt assumer le risque de poursuite en cas d’incendie… et de tout simplement payer la facture si jamais elles sont contraintes de le faire par un juge.

J’entends plusieurs personnes gémir à la lecture de ce paragraphe. Attendez, je n’ai pas terminé!

Par manque de ressources humaines et/ou de ressources financières, plusieurs municipalités sont encouragées, par les autorités compétentes, à mitiger les risques associés à leur manque de pompiers en investissant dans une brigade de prévention des risques qui fait en sorte de prévenir les incendies par l’inspection des bâtiments selon une périodicité beaucoup plus agressive que par le passé. De plus, ces brigades ont la mission de sauver des vies par la mise en place d’un programme d’éducation du public adapté aux particularités des citoyens du territoire et ce, afin de favoriser l’adoption de comportements visant à prévenir les incendies et afin de préparer l’évacuation rapide des résidences en cas d’incendie. Par conséquent, sachant qu’aucune vie n’est en danger (puisque les citoyens ont rapidement évacué leurs résidences), le travail des pompiers se limite à prévenir la propagation aux bâtiments adjacents et à prendre en charge les victimes de l’incendie.

MAIS, encore là, dans l’implantation du plan B, les municipalités se butent à la pénurie de techniciens en prévention des incendies au Québec. Il manque de diplômés issus du programme full-patch de 1035 heures en prévention des incendies dans nos écoles et ceux qui sortent des cégeps ne veulent pas… vous l’avez deviné… sortir de l’axe du mal… tout comme les pompiers.

Présentement, les municipalités situées en région n’ont tout simplement plus les outils pour pouvoir gérer adéquatement leur compétence en sécurité incendie. Elles ont frappé le mur. Ultimement, c’est la sécurité de leurs citoyens qui est en jeu.

Voilà pourquoi ce non-sens me force à croire que nous avons atteint le maximum de ce que la première réforme de la sécurité incendie, qui date d’ailleurs de l’an 2000, pouvait nous donner… et que nous sommes tous prêts pour amorcer une nouvelle refonte de la sécurité incendie, voire de la sécurité civile, qui viendra aligner les actions de la prochaine génération d’intervenants municipaux, et ce pour les 20 prochaines années.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.