Ce mal qui guette tout pompier

Jan 13, 2021 | RH

T’arrives sur un feu de véhicule juste assez tôt pour voir brûler vif un citoyen pris dans l’habitacle, devant tes yeux, pendant que tu tentes désespérément de préparer ton jet pour intervenir…

Tu assistes un policier pour décrocher un pendu dont les yeux encore ouverts te fixent et dont les doigts recroquevillés entre la corde et son cou témoignent qu’il regrettait son geste…

Tu effectues un massage cardiaque sur un chauffard éjecté de sa voiture, suite à une violente sortie de route, pour réaliser, après quelques minutes, que c’est ton propre fils.

Tu retrouves un enfant calciné dans les ruines d’une maison qui appartient à ton meilleur ami.

Ces interventions sont tous des histoires vécues par des pompiers du Québec. Pourtant, rien ne nous prépare à intervenir sur ce type d’incident.

Je copie un extrait du livre « Blessure d’âme d’un soldat du feu » d’Éric Gouvernet, qui aborde le sujet du syndrome de stress post-traumatique chez les équipes de secours.

“Chez les pompiers, la formation touche toutes les spécificités de cette profession. (…) Pourtant, quasiment à aucun moment il n’est question d’aborder la mort sur six mois de formation.

Cette inconnue est pourtant omniprésente tout au long de notre carrière. Cet acteur capricieux qui envahit soudainement l’écran de nos vies et puis disparaît pour laisser place au mot « fin » du générique. Chaque rencontre avec elle va laisser une trace, une impression, une émotion.

Au début, nous sommes attirés comme le badaud pour essayer de voir cet autre côté de la vie, celui qui est parti pour le monde des morts. Cette curiosité morbide qui nous pousse à regarder. (…)

Ces interventions sur le tas laisseront souvent des cicatrices profondes non avouées en chacun de nous. Cela n’excuse rien mais je peux comprendre certains anciens qui, en faisant l’apéro un peu plus que de raison, se laissaient aller à la mélancolie. C’est en avalant la gorgée alcoolisée qu’ils oubliaient un peu ces moments qui avaient marqué leurs existences.

Soyons honnête. Le métier de pompier reste fragile face aux blessures psychologiques qui sont encore considérées comme un signe de faiblesse par plusieurs. Les stéréotypes et les égos sont bien présents dans nos casernes et ça contribue à enfermer les pompiers blessés mentalement dans un silence lourd qui sera souvent accompagné de changements au niveau comportemental, de troubles du sommeil, et d’excès variés (drogues, alcool, nourriture, etc.).

Je ne suis pas un expert en la matière mais lorsque j’aborde ce sujet dans mes formations SST, ça se termine invariablement par une discussion à l’écart avec un pompier qui me dit à voix basse souffrir de ces maux.

Ma réponse demeure pratiquement toujours la même : Tu ne peux garder ce secret pour toi. Tu dois en parler aux gens autour de toi en commençant par les quelques pompiers à qui tu fais confiance (les pairs aidants sont d’excellentes ressources en ce sens!). Pas une discussion de groupe… mais plutôt un one-on-one… afin de pouvoir livrer le fond de ta pensée et aller chercher un feedback sincère de ton interlocuteur. Tu vas être surpris de la réaction d’ouverture que tu risques de rencontrer et possiblement des confidences que tu risques de recevoir de la part de ces pompiers qui souffrent aussi en silence comme toi.

Tu dois aussi aller chercher de l’aide externe par des ressources qualifiées. Au Québec, nous avons les multiples programmes d’aide aux employés, les ressources des CISSS/CIUSS, La Vigile ( www.lavigile.qc.ca ) et dans les cas un peu extrêmes, nous avons la ligne provinciale d’intervention suicide au 1-866-277-3553.

Bref, si les temps sont difficiles présentement avec la pandémie de la COVID-19, rien ne t’oblige à souffrir en silence. Ose en parler. Ton bunker ne te protègera jamais de ces malaises!

Un remerciement spécial à Julie Nadeau, TS, Mss. pour son apport à la rédaction de ce post. www.julieurgence.ca

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.