Le « syndrome du survivant » est un problème dans nos casernes

Jul 3, 2021 | Gestion

Il fut jadis un temps où les casernes de pompiers à temps partiel (qu’ils soient volontaires ou non) étaient pleines à craquer. On y admettait les aspirants au compte-goutte… c’était l’époque où être pompier était un privilège.

Est-ce que le métier de pompier est soudainement devenu inintéressant pour les jeunes? Non. La plupart des enfants en bas âge rêvent encore d’être pompier.

Par contre, une fois devenus adultes, ces jeunes font face à l’augmentation importante des exigences en matière de formation, à l’étalement urbain (augmentant ainsi le temps de transit entre la résidence et le lieu de travail principal) et à une dynamique familiale renouvelée (familles reconstituées, conjoint/conjointe qui travaille à temps plein, horaires de travail atypiques). Ces trois éléments font en sorte que le métier n’est plus aussi accessible aux jeunes.

Parallèlement à ces difficultés de recrutement, les pompiers volontaires en fonction doivent continuer à protéger la population… avec moins de pompiers pour les aider! Alors que les brigades perdent tranquillement des pompiers, celles-ci doivent faire face à une augmentation des appels sur leur territoire. Trois causes principales expliquent ce phénomène : les alarmes en fonction, les assistances médicales et les appels d’entraide automatique… parce que les services limitrophes manquent également de pompiers.

Le départ des pompiers à temps partiel du milieu de l’incendie n’a pas seulement un impact sur les temps de réponse qui s’allongent… mais il a aussi un impact psychologique sur les pompiers qui restent.

D’un, les pompiers qui restent sont de plus en plus exposés, individuellement, à des appels d’urgence au sein de leur communauté… augmentant ainsi les chances de devoir intervenir chez un ami ou un membre de sa famille… exposant ces pompiers à des situations pour lesquels ils ne devraient pas être exposés normalement dans leur vie. Ces éléments sont les ingrédients essentiels pour éventuellement déclencher un trouble de stress post-traumatique. Ce n’est pas pour rien que les intervenants d’urgence sont autant affligés par ces troubles dont on ne connait encore que la pointe de l’iceberg.

Puis, un autre concept important qu’on oublie souvent est ce qu’on appelle le « syndrome du survivant ». La diminution des effectifs au sein d’une organisation provoque une sorte de rupture du contrat psychologique traditionnel entre le pompier et son employeur. Ce bris a des conséquences sur le climat de travail, le niveau de motivation et sur le rendement des pompiers.

Les symptômes chez ceux et celles qui souffrent de ce syndrome? Colère, culpabilité, sentiment d’injustice, méfiance envers la direction de la municipalité ou du service, démotivation, surcharge de travail, baisse de productivité, cynisme face aux élus, et épuisement.

Les officiers d’opérations et de gestion sont-ils bien outillés pour intervenir auprès de leurs pompiers afin de détecter les troubles de stress post-traumatiques et/ou les symptômes de détresse psychologique? Non. Sont-ils bien outillés pour adresser les problèmes qu’ils pourraient détecter? Encore moins.

Que faire pour favoriser le recrutement de nouveaux pompiers à temps partiel et pour adresser la détresse psychologique chez les vaillants pompiers qui restent?

Il faut gérer le problème… pas juste le constater.

Cette gestion passe par deux éléments importants :

1.  La capacité des officiers à pouvoir gérer l’aspect humain de la relation avec les pompiers afin de pouvoir les mobiliser adéquatement. Quel doit être le profil des compétences humaines d’un officier au sein d’un service de sécurité incendie à temps partiel? La norme NFPA 1021, qui travaille en ce sens, représente-t-elle réellement la réalité de nos services? Non. Elle est non seulement trop technique, mais elle est axée sur les services de sécurité incendie à temps plein et c’est possiblement ses deux faiblesses. Il faut redéfinir les compétences attendues de nos officiers et structurer la formation en ce sens. Bref, il faut professionnaliser le métier d’officier à temps partiel.

2.  L’implication des intervenants de tous les milieux à la promotion du rôle de pompier à temps partiel au sein des communautés. On parle ici des élus, des directions générales, des officiers, des pompiers, des écoles, du ministre, des fonctionnaires, etc. Plutôt que de travailler en silo à l’échelle locale, ça prend une stratégie nationale découlant d’un constat du milieu… un peu comme le forum en sécurité incendie de 2011… mais avec une suite!

Bref, cessons de jouer à la victime… tel un survivant.

Débutons notre réflexion sur le sujet chacun de notre côté et soyons prêts pour le jour où un groupe de leaders abordera le problème de face afin de non seulement le comprendre mais aussi de l’adresser.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.