Où est passée la passion de nos pompiers?

Dec 4, 2020 | Urgence

Par Adam Hansen, Traduction libre de l’anglais et adaptation par Patrick Lalonde et Richard Amnotte

Source : Fire Engineering, 4 mars 2016.

En tant que jeune enfant qui a grandi dans une banlieue d’Amérique, j’ai développé, comme la plupart d’entre vous, un désir inexplicable de devenir pompier. Le son de la sirène fédérale dans la rue me faisait courir à la fenêtre, et ce à chaque fois que le service d’incendie partait pour une intervention. Les pompiers et le combat contre le feu étaient quelque chose de plus grand que nature! Lorsque vous vous y arrêtez et pensez à cela, il est fou combien d’entre nous savions exactement ce que nous voulions être quand nous serions grands; avant même de pouvoir compter jusqu’à dix. Comme la plupart des parents, ma maman et mon papa se disaient, “c’est seulement une phase, il va grandir et oubliera», mais il est évident qu’ils ont eu tort. À chaque année qui passait, mon amour pour les services d’incendie n’a fait qu’augmenter alors que je continuais à apprendre ce que ça signifiait vraiment d’être un pompier.

            Au fond de mon cœur, je crois vraiment que la plupart des gens qui se joignent à un service d’incendie le font avec l’objectif initial de devenir le meilleur pompier qu’ils peuvent être. Les recrues parlent avec tellement de passion de la vie qui les attend. Comment ils veulent consacrer leur vie entière à devenir le meilleur pompier inimaginable. Ils utilisent des mots comme la tradition, la fierté, l’honneur, le courage et l’intégrité. Avez-vous déjà entendu une recrue dire à son premier jour au travail : «Ouais, c’est plutôt cool… je vais essayer ce travail et voir si je l’aime.” Biiin non !!! Au fond du regard de la recrue, vous voyez un reflet de vous-même; exactement comme vous étiez le jour vous avez été embauché. Lorsque de nouveaux membres entrent dans ce métier, c’est une expérience très honnête et rafraîchissante pour nous tous. Nous nous souvenons de la façon dont nous nous sentions lorsque tous nos espoirs et nos rêves sont enfin devenus réalité. Avec un seul appel téléphonique du chef pompier, ou de celui qui a eu l’honneur de vous accueillir au service d’incendie, votre vie a changé à tout jamais à partir de ce moment-là. Lorsque vous vous arrêtez pour y penser, nous parlons vraiment d’un truc assez puissant.

            Cela m’amène à une question qui me préoccupe depuis un certain temps. Que se passe-t-il avec la passion pour le travail de beaucoup de nos pompiers? Qu’est-il arrivé au nouveau pompier qui ne pouvait plus attendre d’aller se faire former à l’école; le pompier qui était tellement excité de voir quel service allait l’embaucher ou quelle caserne il allait travailler; le pompier qui arrivait au travail une heure plus tôt que prévu; le pompier qui était si fier de porter l’uniforme afin que tout le monde connaisse le nom de sa nouvelle famille; le pompier qui, à part la naissance de son enfant, venait de vivre la plus grande chose inimaginable… une invitation à se joindre à la plus élitiste des fraternités sur la terre?

            Que se passe-t-il avec la passion de nos pompiers? Le pompier qui avait une fois le sentiment de «gagner à la loterie », se sent maintenant comme si c’était seulement un travail, et que le service d’incendie lui doit quelque chose seulement pour se présenter à ce travail. À ça je réponds que c’est: «de la foutaise». Si nous choisissons de tolérer ce sentiment et cette attitude, ils deviendront «la norme», que cela sera un énorme échec pour nous en tant que pompiers, mais surtout que ce sera un échec pour notre bien-aimé service d’incendie.

            Je ne mentionne pas que ce problème s’applique à tous les pompiers, pas du tout. Il y a beaucoup de “pompiers passionnés” qui sont toujours là, sur la ligne de front, jour après jour, dans les services d’incendie de notre grand pays et du monde entier. Nous savons tous qui sont ces pompiers. Si vous êtes l’un de ces «pompiers passionnés», alors cet article est spécialement écrit pour vous. Encore plus que les pompiers qui ont perdu leur désir pour le travail. Ce sont les «pompiers passionnés” qui ont besoin de faire partie de cette conversation. C’est vous qui devez nous aider à trouver une réponse. C’est de votre aide que nous avons besoin pour découvrir un moyen d’empêcher nos confrères et consœurs d’abandonner leur travail. C’est de votre aide que nous avons besoin pour trouver un moyen de préserver cette grande fraternité que nous appelons un service d’incendie.

            À première vue, cette simple question semble nécessiter une réponse simple. Cependant, après m’être lancé dans cette mission, j’ai trouvé que la réponse en est tout autrement. J’ai proposé cette question de «que se passe-t-il avec la passion de nos pompiers» aux membres de nombreux services d’incendie, couvrant tous les niveaux hiérarchiques, du secteur privé jusqu’aux directeurs de services d’incendie de grandes villes.

            Les réponses que j’ai reçues ont été, à plusieurs reprises, données comme une combinaison des éléments suivants:

            “Oh, c’est juste une question de génération.” Ces jeunes pompiers qui arrivent sur le marché du travail aujourd’hui ne sont pas faites du même tissu que les pompiers des générations passées. Les membres de la génération Y ou Z sont paresseux, gâtés, égoïstes et arrogants. Par le passé, un jeune pompier devait travailler dur pour se prouver et ainsi gagner le respect de ses confrères. Les jeunes pompiers d’aujourd’hui se sentent comme si le service d’incendie leur devait quelque chose, tout simplement pour se montrer le bout du nez et porter le t-shirt du service. En d’autres mots, ils sont de la génération « moi, moi, moi».

             “Tous les vrais pompiers ont quitté” Tout au long de l’histoire du service d’incendie, les pompiers d’expérience étaient justement cela… des pompiers d’expérience. C’était le pompier qui avait vingt à trente ans d’ancienneté dans le poste. Le pompier qui, non seulement connaissait son travail et le prenait au sérieux, mais qui avait l’expérience pour appuyer ses dires. Le pompier qui, lorsque vous commettiez une erreur, était le premier à vous dire mais qui vous prenait par la suite sous son aile pour vous montrer exactement ce que vous aviez fait de mal. Le pompier qui était le premier sorti de table au petit déjeuner pour commencer les tâches ménagères et ainsi “donner le ton à la journée», et le pompier qui n’avait jamais de problèmes à faire du temps supplémentaire pour enseigner la base à une jeune recrue et répondre à ses mille et une questions. Autrement dit, des pompiers qui menaient par l’exemple. Il semble que beaucoup, pas tous, des pompiers d’expérience dans les services d’incendie d’aujourd’hui sont des “EUDN” (expérimentés uniquement de nom). Ils seront les premiers à vous dire combien d’années ils ont complétées dans le poste et qu’ils sont les plus vieux pompiers de la caserne, mais refusent systématiquement de transmettre les connaissances ou les informations qu’ils ont acquises tout au long de leur carrière. Si quelqu’un a du temps au travail, mais refuse de monter d’un cran son niveau et de prôner par l’exemple, ça ne fait pas d’eux des « pompiers d’expérience». Cela signifie seulement qu’ils ont été embauchés avant vous, point.

            “Nous n’avons plus autant de feux que nous avions” Il y a bien longtemps, un service d’incendie était justement cela, un service «d’incendie». La majorité des appels étaient des incendies et nous intervenions sur “d’autres appels” qu’en cas de besoin. Les jeunes pompiers allaient à l’école avec l’image dans leur tête de Kurt Russell qui passait à travers l’embrasure d’une porte avec un petit enfant dans les bras, le manteau ouvert et tout le reste. Ne vous mentez pas; si vous lisez cet article, c’est que vous avez vu le film au moins quelques fois. Les jeunes pompiers devaient passer par le processus d’embauche, pensant qu’ils allaient être au travail tous les soirs à ramper dans un couloir enfumé. Seulement pour réaliser que la réalité est d’être accroupie sur le sol à 2h00 du matin avec un brassard de pression sanguine dans la main, pour la troisième fois du quart de travail. Pour être un bon pompier, c’est beaucoup plus que de sonner la charge dans un bâtiment en feu et de mettre la chose humide sur la chose rouge. Être un bon pompier signifie de se donner à 100% dans tous les aspects de l’emploi, peu importe comment grand ou petit cet aspect peut être. Cela signifie vérifier son camion aussi minutieusement sur le troisième appel que vous l’avez fait sur le premier. Cela signifie être fier de se former et de déployer des boyaux avec son équipe comme vous le feriez sur un feu réel. Cela signifie rester éveillé en pensant aux accidents évités de justesse pour éviter qu’une tragédie vous frappe ou frappe votre équipe. Et oui, cela signifie aussi traiter la belle vieille Madame Tremblay, qui est tombé de son lit à nouveau, tout comme vous le feriez avec votre propre grand-mère. Les membres du service qui ont pris leur retraite avec la réputation d’être de grands pompiers ne l’ont pas été à cause qu’ils savaient comment travailler avec des boyaux, même si c’était extrêmement important, mais plutôt par qu’ils avaient une grande fierté et qu’ils l’appliquaient jour après jour à tous les aspects de leur travail.

             C’est la faute à tout le monde. C’est la faute des chefs puisque nous avons cette nouvelle P.O.N. qui contredit la façon dont nous avons toujours fait les choses au cours des 50 dernières années. C’est la faute du DG si nous n’avons pas eu une augmentation de salaire depuis deux ans. C’est la faute du conseil de ville si nous devons conduire cette vieille autopompe qui a déjà connue des jours meilleurs. C’est la faute du public qui ne comprend pas ce qu’est une «véritable urgence». C’est la faute aux autres équipes qui ne nettoient pas le réfrigérateur lors du dernier jour de leur quart. C’est la faute de tout le monde, mais jamais la nôtre. Quand un nouveau pompier arrive dans le service, il se fiche éperdument s’il conduit le plus vieux camion de la ville ou celui qui vient à peine d’être livré du manufacturier. Je ne dis pas que nous ne devrions pas nous soucier de nos moyens de subsistance et de notre sécurité, pas du tout. Nous devons être nos propres promoteurs. Nous devons éduquer nos politiciens locaux sur les caractéristiques de sécurité de nos équipements, les avantages des différents appareils, et l’importance d’une main-d’œuvre qualifiée. Si nous ne le faisons pas, personne d’autre ne le fera. Le problème est que beaucoup d’entre nous ne communiquons pas nos préoccupations correctement. Assis autour de la table de cuisine à se plaindre, jour après jour, ne résoudra en rien nos problèmes. Comme la plupart d’entre vous qui lisez cet article, j’ai moi aussi été aspiré dans ces conversations sans fin assis autour d’une table. Les conversations qui mettent en évidence un problème, mais sans jamais réellement essayer de le résoudre. La conversation qui tourne simplement en une session de gémissements et de plaintes, sans jamais vraiment essayer de résoudre le problème à la portée de main. Eldridge Cleaver a déjà dit: «Si vous ne faites pas partie de la solution, vous faites partie du problème ».

             Ce n’est plus un effort d’équipe. Le service d’incendie a déjà autrefois été l’endroit où tout le monde travaillait ensemble afin d’accomplir la mission. Aujourd’hui, il semble que beaucoup y sont pour la gloire individuelle. Après un incendie, les pompiers vous diront à quel point ils ont bien établi les lignes et atteint rapidement le point d’origine de l’incendie. Alors que dans un même souffle, ils s’assureront de vous informer sur la façon dont les autres pompiers tâtonnaient difficilement autour de la porte d’entrée. Quand un jeune pompier ou un officier de caserne arrive avec une nouvelle idée qui pourrait réellement permettre d’améliorer l’ensemble du service, on lui tire dessus à boulets rouges. Pourquoi? Pour utiliser des termes sans équivoques, parce que l’idée ne vient pas de quelqu’un avec plus de bananes sur les épaules. Nous sommes si prompts à juger et rabaisser les autres pour tenter de nous faire sentir mieux en tant qu’individus. J’ai entendu et vu des histoires de pompiers et même des officiers crier aux recrues sur une scène d’incendie simplement parce qu’ils «ne faisaient pas les choses de la bonne façon». Je dis que c’est une honte de voir un pompier d’expérience et surtout un officier crier à une recrue parce que la tâche n’a pas été réalisée selon leurs attentes. La dernière fois que j’ai vérifié, un pompier était le reflet direct de son officier. Si le pompier n’effectue pas le travail selon les normes, c’est que c’est la faute de l’officier qui ne lui a pas enseigné de la bonne façon. Il appartient aux pompiers d’expérience et aux officiers d’encadrer et d’encourager les jeunes esprits frais du service d’incendie. Nous avons besoin de renforcer leur confiance et faire en sorte qu’ils deviendront de grands pompiers, pas de crier et de briser leur estime de soi. Les équipes et les services d’incendie en entier sont seulement aussi forts que leur maillon le plus faible. Nous devons aider à améliorer notre maillon le plus faible dans le but de rendre notre équipe et notre service d’incendie performants.

            Alors que je me lançais dans cette mission, d’autres explications sur les raisons pour lesquelles les pompiers sont en train de perdre leur passion étaient mentionnées. Cependant, ces cinq m’étaient continuellement répétées. À chaque pompier à qui j’ai parlé, ces cinq éléments étaient une préoccupation réelle, et chaque membre ressentait que ces items étaient des facteurs contributifs majeurs au problème global d’une certaine façon ou d’une autre.

            Lorsque vous devenez un pompier, tout le monde vous dit, vous ne serez jamais riche, vous allez manquer beaucoup de parties de baseball de vos enfants, et vous aurez beaucoup de nuits blanches. Mais malgré ces inconvénients, il y a mille et une raisons pour lesquelles c’est le plus beau métier du monde. Les pompiers qui m’ont aidé à apporter des réponses à cette question, m’ont fait comprendre que la réponse est tout sauf simple. Au contraire, c’est extrêmement complexe. Mes intentions ne sont pas de résoudre ce problème avec un simple article et de l’envelopper joliment avec un ruban; ce n’est pas du tout mon intention. Mon espoir est d’initier une conversation. Ce concept de la passion des pompiers n’est pas aussi sexy que d’autres sujets tels que la sécurité des pompiers et la survie, ou l’entrée forcée, mais ce concept est essentiel à la survie de nos services d’incendie. Si nous perdons la mission et l’amour de notre métier, alors toute la formation et l’éducation sur la stratégie et les tactiques seront en vain. Je pense que le vieux dicton, «C’est non seulement un emploi, c’est un mode de vie” est extrêmement important dans cette conversation. Si nous permettons à nos services d’incendie de devenir juste un travail, alors nous ferons honte à toutes les générations qui nous ont précédé. Nous avons besoin de ceux qui n’ont pas perdu l’amour de leur métier, les «pompiers passionnés», pour aider à trouver un moyen de garder la fierté et l’intégrité de notre style de vie et de notre fraternité. Nous devons garder notre famille unie.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.