Sécurité incendie : Nous allons frapper le mur!

Jun 8, 2016 | Gestion

Avec plus de 70 000 km parcourus au cours des dix derniers mois à sillonner les routes du Québec et du Nouveau-Brunswick afin de former des officiers en sécurité incendie, je considère être dans une position privilégiée pour porter un regard sur la situation actuelle en sécurité incendie et sur la situation qui nous attend au cours des prochaines années.

Plusieurs des éléments abordés dans ce texte l’auront aussi été au cours de mes présentations au Congrès de l’Association des chefs en sécurité incendie du Québec (ACSIQ) et du Symposium de formation en sécurité incendie de l’Est-du-Québec.

Faites-vous partie de la parade?

La réponse à cette question est venue rapidement lors du dernier Congrès de l’ACSIQ alors que je faisais ma conférence. Les participants avaient le choix entre trois conférences dont celle de mon ami François Gosselin du Service d’incendie de Québec qui abordait les notions de gestion d’intervention ou ma conférence qui abordait les défis dans la gestion des services d’incendie. Admettons que la gestion d’intervention a largement dominé la gestion administrative des services d’incendie…

C’est là que j’ai réalisé le vieil adage qui veut que seulement 2% de la population fait partie d’une parade, que 8% assiste à la parade et que 90% n’a aucune idée qu’il y a une parade ou se trouvent sur le mauvais coin de rue.

Pourtant, à mon humble avis, le défi de la sécurité incendie n’est plus dans la gestion d’intervention mais dans la gestion de la tempête parfaite avec laquelle les officiers doivent conjuguer au niveau de la gestion administrative de leurs services. Faites-vous partie du 10% qui le réalise?

Fait #1 : Les incendies de bâtiment ont évolué

Le dernier rapport annuel du Ministère de la sécurité publique nous apprenait que nous avons connu une diminution de 25,3% des incendies déclarés de 2010 à 2013 et une diminution de 27,4% du taux d’incendie par 1000 habitants pendant la même période.

Parallèlement à cela, le Underwriters Laboratories nous apprenait que les incendies de contenu atteignaient l’embrasement généralisé en 17 minutes en 1985 alors que le même stade est dorénavant atteint en 3 minutes en 2016. Constat identique pour ce qui est des feux de structure qui atteignent eux aussi l’embrasement généralisé en 5 minutes comparativement à 29 minutes 30 ans plus tôt. L’utilisation de nouveaux matériaux dans la construction des maisons et/ou dans la confection des meubles en est la cause.

En résumé, on enregistre moins d’incendies de bâtiments donc nos intervenants en sécurité incendie sont moins exposés à ce type d’intervention… ne sont pas aussi efficaces qu’ils pourraient l’être… mais doivent lutter avec des brasiers qui progressent plus rapidement que jamais… nécessitant d’être plus efficace que par le passé. Paradoxal?

Constat #1 : « La gestion d’intervention, telle qu’on la connaît, est devenue inefficiente. »

Fait #2 : Il y a cinq nouvelles formes de cancer reconnus chez les pompiers au Québec

Depuis avril 2016, la CNESST reconnait dorénavant sept formes de cancer parmi les maladies professionnelles chez les pompiers : cancer du rein, cancer de la vessie, cancer du larynx, cancer du poumon, le mésothéliome, le myélome multiple, et le lymphome non Hodgkinien. La reconnaissance de ces maladies fait en sorte que les pompiers qui en seront diagnostiqués pourront recevoir des indemnisations en vertu de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles.

Or, la Loi sur la santé et sécurité au travail prévoit que les services de sécurité incendie devront travailler à identifier et développer des méthodes de travail visant à réduire le taux d’occurrence de ces mêmes cancers.

La CNESST, L’APSAM et l’ACSIQ travaillent conjointement depuis maintenant un an à l’élaboration d’un guide de sensibilisation des pompiers à la maladie et à l’implantation de méthodes de travail qui viendront réduire les risques de cancer (ce guide sortira à l’automne 2016). On parle essentiellement de décontamination des habits de combat après les incendies ou les pratiques en présence de fumée, de la décontamination des équipements, des outils et des véhicules après les interventions, du remplacement des habits de combat après une certaine période garantie par le manufacturier, du remplacement des cagoules après chaque bouteille d’air, et du port d’un appareil respiratoire pendant toutes les phases d’un incendie y compris pendant le déblai et la RCCI.

Celui ou celle qui défiera ces règles le fera en toute connaissance de cause face aux dangers que les pratiques actuelles peuvent avoir sur les pompiers, donc s’exposera à une poursuite pour négligence criminelle en vertu de la loi C-21 du code criminel du Canada.

L’adoption de ces nouvelles pratiques demandera nécessairement un réaménagement budgétaire dans plusieurs services d’incendie. Par contre, c’est dans la gestion des mentalités que ça risque d’être difficile alors que certains intervenants profiteront de l’occasion pour exiger le NEC-Plus ultra de la protection individuelle alors que d’autres banaliseront le tout. Gestion du changement?

Constat #2 : « À chaque incendie de bâtiment et à chaque feu de véhicule, on expose nos pompiers et officiers à plusieurs formes de cancer. »

Fait #3 : Les générations Y et Z ne sont pas faciles à attirer, motiver et retenir au sein des SI

Les boomers et les X sont des bourreaux de travail. Pas les Y et les Z. Le travail, ce n’est pas les vacances… en tout cas pas pour eux! J’ai d’ailleurs déjà abordé ce sujet dans un de mes articles précédent :

https://www.linkedin.com/pulse/ce-qui-fait-que-les-y-et-z-ne-deviennent-plus-pompiers-lalonde?trk=pulse_spock-articles

Par contre, l’ISQ publiait dernièrement l’analyse démographique des différentes régions au Québec. On pouvait y lire que les régions de l’Abitibi-Témiscamingue, Saguenay-Lac-St-Jean, Bas-St-Laurent, Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine et de la Côté-Nord ont connu une baisse de la population au cours des dernières années et que cette tendance ne changera pas au cours des prochaines années.

Les jeunes, qui ne sont loyaux qu’envers les gens qui les entourent et qu’envers eux-mêmes, n’attendront pas les bras croisés que les emplois reviennent dans leur région. Lorsqu’une municipalité ne sera pas en mesure de leur offrir d’emplois à temps plein, ils déménageront ailleurs dans un endroit qui sera en mesure d’utiliser à bon escient leurs connaissances et compétences durement acquises à l’école.

Le défi des services d’incendie est de recruter des jeunes qui ne sont pas motivés par l’implication communautaire, qui ne sont pas attachés à leur région, qui ne sont pas loyaux envers leur employeur ni même à leur métier de pompier pour travailler à temps partiel ou à temps plein dans une organisation qui leur impose des horaires de travail atypiques et une approche paramilitaire de la gestion du personnel.

Constat #3 : « Les jeunes ne s’identifient plus à l’approche hiérarchique et au dévouement exigé des intervenants du milieu de l’incendie. »

Fait #4 : La capacité de payer des contribuables a atteint sa limite maximale

Le niveau d’endettement au Canada est de 163%. Plus de 160 000 ménages sont fortement endettés au Québec seulement. Le coût des services municipaux ne cesse d’augmenter. Une hausse des taux d’intérêts de 2% serait désastreuse pour l’économie canadienne. Plusieurs y perdraient leur maison.

Le récent palmarès des municipalités publié par HEC Montréal faisait état de plusieurs municipalités, principalement des régions mentionnées dans la partie précédente, qui paient leurs services plus de 25% plus chers que les municipalités comparables en milieu urbain.

Par contre, ces mêmes régions enregistrent des salaires hebdomadaires moyens inférieurs à la moyenne québécoise.

En d’autres mots, le citoyen moyen est très endetté et lourdement taxé par le biais des taxes et impôts. S’il vit en région, il doit non seulement rembourser ses dettes, mais aussi payer ses services municipaux plus chers que s’il restait dans le milieu urbain, mais en recevant moins en salaire pour acquitter ces frais car la qualité des emplois est inférieure. 

Constat #4 : « Il n’y aura pas plus d’argent sur la table au cours des prochaines années dans les municipalités.»

Le défi de gestion des services d’incendie

On vous demande, en tant qu’officier compétent, de générer de la productivité, d’être conforme à la réglementation en vigueur, d’être sécuritaire avec votre personnel et de maintenir un climat de travail sain.

En même temps, je viens de vous démontrer, appuyé par des statistiques et des recherches récentes, que les incendies évoluent plus rapidement que les techniques de combat, que l’évolution de la réglementation en matière de santé et sécurité entraînera une refonte dans la gestion des méthodes de travail et dans la gestion des interventions, que le recrutement n’ira pas en s’améliorant… surtout lorsque le métier de pompier vient d’être promu par le International Agency for Research on Cancer de possiblement cancérigène à probablement cancérigène, et lorsqu’il n’y aura pas de budgets supplémentaires pour vous aider à mettre sur pied des initiatives visant à lutter contre ces obstacles à la sécurité car les citoyens sont surendettés.

Nous allons frapper un mur…

Certains services frapperont ce mur de plein fouet, d’autres en douceur. Mais, TOUS les services le frapperont.

Il existe heureusement des moyens pour adresser la situation avant qu’elle ne dégénère. Par contre, ceux-ci exigeront une remise en question des fondements même de notre profession.

J’explorerai ceux-ci dans mon prochain article.

Patrick Lalonde

Patrick Lalonde

Author

Diplômé en gestion à HEC Montréal et en Leadership public à la Kennedy School de l’Université Harvard, Patrick Lalonde a occupé plusieurs emplois à titre de gestionnaire dans les secteurs privé et public avant de démarrer la firme ICARIUM Groupe Conseil. Non seulement enseigne-t-il la gestion à HEC Montréal aux étudiants du baccalauréat et du MBA depuis plus de 20 ans, tant en français qu’en anglais, mais il collabore depuis 2004 avec une multitude d’organisations à développer le plein potentiel en gestion de leurs dirigeants par le biais de formations, de coaching et de services-conseils.